Urs Schnell, le lockdown prononcé en raison du coronavirus est malgré tout survenu très rapidement pour tous. Le télétravail a soudainement remplacé la présence quotidienne sur le lieu de travail. Comment as-tu vécu cette période ?
Urs Schnell : Au début, c’était étrange, car, tous les repères en matière de temps et d’espace avaient disparu d’un coup. Ensuite, j’ai réalisé combien d’énergie et de ressources les voyages permanents en train et en avion me coûtent en tant que navetteur. La connaissance que j’en retire : une présence physique aux réunions en Suisse n’est pas impérative. Il est à espérer que les moyens de communication à disposition grâce à la numérisation, telles que les nombreuses solutions vidéo sur le web, conduiront à une plus grande acceptation du travail décentralisé et mobile.
Toute l’équipe de la FONDATION SUISA a par conséquent travaillé à domicile ?
Oui. Après une brève période d’incertitude, nous nous sommes rapidement réorientés et adaptés au télétravail. La collaboration fonctionne à merveille.
Quelle a été l’intensité du passage d’une collaboration sur base de présence physique à une interaction virtuelle ? Et quels sont à ton avis les principaux défis ?
Le changement n’a pas été problématique, étant donné que notre travail se basait déjà largement sur des processus sans papier et sans passages d’un média à l’autre. L’un des défis a été d’établir tous les canaux de communication. Il s’est aussi révélé important de rayonner de l’assurance, aussi bien vers l’intérieur que vers l’extérieur. Nous y sommes, je pense, assez bien parvenus. Cependant, un autre défi demeure : notre planification – aussi bien à moyen qu’à court terme – ressemble subitement à un jeu de roulette. Les connaissances actuelles et les décisions en découlant peuvent être dépassées demain déjà au gré de l’évolution de la crise.
Les structures et processus d’une fondation tendent à être quelque peu pesants en « temps normal ».
Tu as raison. Les voies hiérarchiques, les réglementations et les règles de gouvernance s’opposent souvent une action souple focalisée sur la situation. En quelques heures seulement, nous avons été forcés de redéfinir les responsabilités et les compétences, afin de pouvoir agir rapidement et de manière flexible en tant qu’équipe au niveau de notre Administration. Ce faisant, le but de fondation a été respecté en tout temps, mais les voies hiérarchiques réglementaires ont été simplifiées là où cela a été possible.
Je suppose que la direction n’en a pas décidé seule.
Au cours de la deuxième semaine de lockdown, nous avons formé un « comité coronavirus » composé de trois membres du Conseil de fondation, dotés de compétences décisionnelles. Ils ont encadré étroitement la direction et nous ont également soutenus.
La nouvelle situation a soudainement également remis en question l’identité actuelle de l’institution dans sa mission de promotion. Quelles questions se sont imposées dans ce cadre ?
Des questions structurelles internes doivent certainement être clarifiées. L’une de nos tâches principales est le traitement de demandes. Nous sommes ainsi dans le fond une organisation qui réagit. Mais la crise nous a forcés en un temps record à intervenir au niveau des événements qui se déroulent autour de nous. Soudain, nous nous sommes mis à y participer. Grâce aux tables rondes en ligne avec d’autres représentants et représentantes de fondations et des responsables au niveau de la Confédération et des cantons, nous avons pu garder notre ligne dans cette situation. D’autre part, nous étions nous aussi en mesure d’y apporter des contributions importantes grâce à notre savoir-faire. Les discussions se sont ainsi révélées positives et ont été menées d’égal à égal, et tous les participants en ont profité.
Comme nous ne savons pas à quoi ressemblera notre monde à l’issue de la crise du coronavirus, certaines questions restent encore ouvertes à l’heure actuelle.
Nonobstant cela, il faut les garder en tête et les valider en continu. Les questions relatives à l’impact profond au niveau des principes du fonctionnement de la culture suisse me préoccupent tout particulièrement. Nous devons débattre de l’économie actuelle qui vit au jour le jour et qui ne permet pas de constituer des réserves. Les structures fédéralistes complexes, non coordonnées et aux compétences floues doivent également être remises en question. La collaboration, la coordination et la transparence seront à l’avenir incontournables afin de rendre la société plus stable en cas de crise. Notre groupe cible principal, soit les auteures et autrices et également les créateurs de musique globalement ont été dépossédés d’un coup de leur activité professionnelle. Nous devons repenser notre offre, et tout particulièrement le financement de tournées, sans jeter pour autant tous nos principes par-dessus bord.
Tu l’as évoqué : les changements pour les créateurs de musique suisses ont été et sont toujours et encore considérables. Comment a-t-on perçu cela à l’interne ?
En premier lieu par les manifestations annulées ou repoussées dans le temps. À partir du mois de mai, tout s’est immobilisé. Notre fondation n’agit pas dans un espace sous vide : nos moyens dépendent directement des recettes provenant des droits de représentation et d’émission de la SUISA. Le calcul est ainsi assez simple : pas de concerts, pas de droits de représentation. Malgré ces circonstances dramatiques, il nous a été important de ne pas commencer à paniquer mais de toujours diriger notre regard vers l’avenir. Les fondations sont tendanciellement destinées à accompagner la restructuration ou la création de systèmes, de manière similaire aux pouvoirs publics dans leur rôle de garants de l’infrastructure dans les situations critiques.
Quelles ont été les réflexions concernant le rôle futur de la FONDATION SUISA ?
Nous ne sommes bien entendu pas encore en mesure de présenter des solutions toutes faites. Mais je pense qu’avec la philosophie du « Get Going ! », les voies empruntées résisteront bien aux crises futures. Soit miser moins sur des produits ou projets tout finis, mais tout simplement rendre « les choses » possibles. Et ces « choses» naissent le plus souvent en réaction au temps et à la situation dans lesquels l’artiste se trouve justement. Mais je souhaite aussi faire avancer plus intensément le débat public sur le thème de l’encouragement de la musique. Comment la musique peut-elle se présenter à l’avenir de manière durable ? Quelle valeur voulons-nous attribuer à la musique à l’avenir, en tant qu’expression artistique qui empreint fortement notre société ?
Quel est ton bilan personnel concernant la phase de télétravail ?
Aussi dans notre branche, il existe une minorité de personnes qui n’ont pas encore assimilé entièrement toute l’envergure de la crise et qui attendent le retour de la normalité en mode attente. On dit souvent que les crises sont une chance. C’est vrai. D’importantes qualités qui se sont manifestées pour tous sont la solidarité, la valeur de la raison sociale et l’engagement de nombreuses personnes – aussi bien chez les artistes que chez les décideurs dans les coulisses. Et j’y inclus toute mon équipe, dans l’Administration comme au sein du Conseil de fondation : tous ont fait preuve d’une sérénité professionnelle exceptionnelle dans cette situation particulière. Chapeau !
Les questions ont été posées par Rudolf Amstutz, journaliste.