Pendant l’appel à candidature Get Going ! 2020 en cours de la FONDATION SUISA, nous consacrons une série de quatre portraits aux bénéficiaires des contributions à la création de l’an dernier.
En dépit d’une formation de haut niveau et de succès commerciaux au sein de plusieurs groupes, Anna Gosteli a trop souvent brillé à l’arrière-plan. Aujourd’hui, à 35 ans, la Soleuroise s’émancipe et trouve son identité musicale trop longtemps recherchée dans la somme de ses nombreuses expériences. La contribution à la création Get Going ! 2019 lui assure l’indépendance financière nécessaire pour cela.
Des pièces de puzzle comme des cailloux de mosaïque qui scintillent, éparpillés, dans toutes les teintes possibles. Et pourtant : aucune image d’ensemble ne se dégage. Pour que le tableau achevé ait une véritable identité, il manque le juste ordonnancement, le bon déroulé. « Un peu de tout, mais rien à fond » : tel est l’état dans lequel se trouvait Anna Gosteli, d’après ses propres dires, pendant des années. Et ce, bien que l’on puisse voir et entendre les différentes pièces du puzzle : sept ans de leçons de piano, puis de clarinette, puis un chœur à l’école. Chez elle, dans le Vorarlberg autrichien, sa mère joue de la guitare et son père du saxophone. « Enfant déjà, j’écoutais tous les styles possibles, des chansons indémodables et des tubes. À la maison, nous avions toujours un instrument sous la main pour faire de la musique. »
À 14 ans, Anna Gosteli déménage en Suisse. C’est un nouveau caillou pour sa mosaïque, auquel viendront régulièrement s’ajouter de nouveaux. À 21 ans, elle devient membre du collectif d’art pop bâlois The bianca Story. Rien ne semble faire obstacle à une fulgurante carrière. Spectacles à l’opéra allemand de Berlin, enregistrements aux studios Abbey Road à Londres, et pourtant : « J’étais la petite souris du groupe au début », raconte la musicienne d’aujourd’hui 35 ans, avant d’ajouter : « C’était un sentiment tout à fait personnel, et qui ne tenait pas à mes collègues masculins, qui m’ont toujours traitée comme un membre à part entière. » Chanteuse extrêmement talentueuse, Anna Gosteli reste cependant toujours la deuxième voix malgré le succès international. Ajoutons à cela une certaine timidité, et cette situation lui laisse le sentiment qu’elle pourrait aller plus loin.
Son émancipation commence quand elle se met à fréquenter de l’école de jazz de Bâle. Elle apprend la composition avec Hans Feigenwinter, le chant avec Lisette Spinnler et les harmonies avec Lester Menezes. Elle en rit aujourd’hui, mais « à l’époque, je pleurais quand Lester me disait une fois encore, énervé, que ce que je faisais était ennuyeux. Je chantais trop bien. » Finalement, cet amour-haine se révèle un moteur important pour sortir des rôles assignés et écouter sa voix intérieure. Lentement mais sûrement, les pièces du puzzle récoltées pendant des années semblent s’assembler. La certitude grandit que là derrière, peut-être, se cache un grand tableau dont tous les morceaux concorderaient.
Anna Gosteli fonde Chiqanne avec Fabian Chiquet, de The bianca Story. Ensemble, ils créent des chansons pop formidables et profondes. « D’un seul coup, je me suis mise à écrire des textes en allemand et à me tenir sur le devant de la scène. » Mais l’étape décisive de l’assemblage du puzzle n’arrive qu’avec « Dr Schnuu und sini Tierli » et sa collection de chansons pour les enfants et, c’est important, aussi pour leurs parents. Cela n’était pas prévu, comme tant d’événements sur son riche parcours. « Je ne sais jamais où les choses vont m’entraîner. Mais c’est aussi une sorte de concept », sourit-elle.
C’était à Noël, et alors jeune mère d’un fils qui a aujourd’hui six ans, Anna Gosteli avait besoin d’un cadeau pour les enfants de ses amis. « Et parce que je manquais terriblement d’argent à cette époque, j’ai décidé d’écrire une chanson et d’offrir à chacun un couplet. » À la chanson sur les volatiles suit celle sur un castor, qu’elle offre au compositeur de musique de films Biber Gullatz (en allemand, « Biber » signifie castor), avec qui elle travaille souvent à l’adaptation musicale de téléfilms, pour le remercier de l’avoir hébergée à Berlin. « C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée d’écrire une série de chansons pour les enfants. »
Ce sont ces chansons-là, qui englobent déjà presque toute la somme des expériences musicales que l’artiste a engrangées pendant sa carrière, qui lui montrent que le puzzle va devenir un tableau brillant. Avec beaucoup d’espièglerie, mais aussi une profondeur psychologique étonnante, ces morceaux prouvent l’étendue du talent de la parolière qu’elle est, tandis que la musique – jouée sur scène avec la guitariste Martina Stutz – reflète son voyage à travers les styles, des chansons indémodables au jazz en passant par les tubes et la pop.
« En ce moment, je fourmille d’idées », dit la musicienne, qui donne des cours de chant au Guggenheim à Liestal et codirige, avec Evelinn Trouble, le « Female Bandworkshop » d’« helvetiarockt ». Enfin, au sein du nouveau groupe Kid Empress, elle s’apprête à présent à parachever son puzzle. « J’ai enfin trouvé trois âmes sœurs dans la musique, relate Anna Gosteli. Nous prenons les décisions ensemble, et ce sans devoir faire de compromis. »
Le « Schnuu » et le son de Kid Empress, influencé par différents styles, montrent déjà bien que le « un peu de tout, mais rien à fond » du début prend les contours d’une véritable identité. « La contribution Get Going ! me donne, exactement au moment où j’en ai besoin, le coup de pouce financier nécessaire pour pouvoir me lancer dans ces nouvelles aventures créatives. » Et à nouveau, un sourire lumineux s’affiche sur son visage.
Rudolf Amstutz
C’est en 2018 que la FONDATION SUISA a commencé à allouer ses nouvelles contributions à la création. Dans le cadre de « Get Going ! », elle finance des processus créatifs et artistiques qui se situent hors des catégories usuelles. Nous consacrons chaque année une série de portraits aux bénéficiaires de ces contributions Get Going ! L’appel à candidatures en cours pour 2020 s’achèvera à la fin août.
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